Nicolas Sarkozy de nouveau devant les tribunaux. Mais il s'agit cette fois d'une affaire hors norme, qui a tout du scandale d'État entre l'ancien président français et Mouammar Kadhafi. La justice française accuse Nicolas Sarkozy d'avoir touché de l'argent du « guide » libyen pour financer la campagne électorale qui le portera à l'Élysée en 2007. Nicolas Sarkozy est poursuivi pour corruption, association de malfaiteurs, recel de détournement de fonds publics et financement illicite. Il risque dix ans de prison. L'histoire éclate en 2012, suite aux révélations du site d'information français Mediapart, qui conduira l'année suivante à l'ouverture d'une enquête judiciaire. Fabrice Arfi est le responsable du pôle Enquêtes de Mediapart, c'est aussi lui qui est à l'origine des révélations. Il répond aux questions de Sidy Yansané. RFI : Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, se rencontrent pour la première fois en 2005. Et lorsqu'il est élu président deux ans plus tard, il parvient à faire libérer les infirmières bulgares injustement détenues en Libye depuis des années. C'est là que débute officiellement la lune de miel entre les deux chefs d'État. Quelles étaient les raisons de ce rapprochement ? Fabrice Arfi : Les raisons officieuses, celles qui vont peupler les audiences du procès historique, du procès de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, concernent une histoire de compromission à divers niveaux, qu'il soit diplomatique, financier, économique, dans des perspectives de financement occulte de la Libye en direction de la France et en contrepartie, d'après l'accusation judiciaire, de tout un tas de faveurs que la France a octroyé à la Libye de Mouammar Kadhafi, à partir du moment où Nicolas Sarkozy a été élu président de la République.Parmi ces faveurs, par exemple, lesquelles sont les plus notables ?La contrepartie la plus significative car c’est la plus vertigineuse de mon point de vue, c’est l'un des dignitaires libyens qui s'appelle Abdallah Senoussi, beau-frère de de Mouammar Kadhafi et ex-chef des services secrets militaires, et qui est connu de sinistre mémoire en France, puisqu'il a été condamné en 1999 à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir fait sauter l'avion de ligne DC10 de la compagnie française UTA. C'était en 1989 au-dessus du désert du Ténéré au Niger, et ça a fait 170 morts. Parmi les contreparties, la justice accuse l'équipe Sarkozy d'avoir, contre de l'argent versé, promis de faire sauter le mandat d'arrêt d'Abdallah Senoussi, visé par un mandat d'arrêt international depuis sa condamnation en France. Donc on va avoir, pour la première fois dans l'histoire politique et pénale française, une affaire de terrorisme, et non des moindres, qui va se retrouver au cœur d'un procès de corruption.Et c'est d'ailleurs cette affaire de terrorisme qui va contribuer largement à l'isolement de la Libye au niveau international. Et l'élection de Sarkozy, c'est aussi une grande victoire pour Kadhafi car six mois après cette élection, il est invité à Paris. On se souvient tous de sa tente qu’il a dressée dans la cour de l’hôtel Marigny, situé devant le palais de l'Élysée. Vous considérez que c'est aussi une victoire pour Kadhafi ?D'autres démocraties, bien sûr, ont accueilli Mouammar Kadhafi. Mais seule la France l’a fait avec un tel faste, et c'était pour Mouammar Kadhafi une victoire totale pour laquelle il était prêt à payer très cher. La France, pays de la Révolution française, de la Déclaration des droits de l'homme, lui a offert une notabilité qu'aucune autre démocratie occidentale, libérale, comme on dit, n'était en mesure de lui offrir.Seulement quatre ans plus tard, c'est le Printemps arabe. Une coalition de l'Otan décide de soutenir les rebelles contre Kadhafi. Le président Sarkozy se montre particulièrement volontaire. Rappelons qu’avant l'intervention, le guide libyen « révèle » dans le quotidien français Le Figaro avoir financé la campagne de son homologue français. Les enquêtes, médiatique comme judiciaire, font-elles un lien entre les deux événements ?Je ne suis pas de ceux qui considèrent que la guerre en Libye est une fabrication de Sarkozy visant à se blanchir, mais il y a quand même des questions qui se posent sur la manière dont la guerre a été déclenchée. Je rappelle qu'il y a un rapport du Parlement britannique qui a mis en cause les mensonges qui ont présidé au déclenchement de la guerre en Libye, dans le sillage des Printemps arabes, d'abord en Tunisie puis en Egypte. Des questions qui se posent aussi sur certaines opérations menées en Libye, jusqu’à la mort du dictateur Kadhafi, dont on ignore les circonstances précises encore aujourd’hui. Mais le fait est que le Nicolas Sarkozy de 2007 et le Mouammar Kadhafi de 2011 sont bien les deux mêmes hommes de 2007 et de 2011. S’il y a un secret qui ...