Les manifestations continuent au Mozambique. Le principal opposant, Venancio Mondlane, continue de contester les résultats de l’élection présidentielle d’octobre dernier, donnant la victoire au candidat du Frelimo, Daniel Chapo. Le parti au pouvoir depuis l’indépendance, en 1975, n’avait jamais été aussi fortement remis en cause. Les manifestations frappent toutes les régions du pays, y compris ses propres bastions dans le sud. Et la répression a causé plus de 260 morts, selon l’ONG locale Plataforma Decide. L’ONU s’est dite ce 31 décembre « profondément inquiète » de l’« escalade de la violence qui a forcé des milliers de personnes à fuir » dans des pays voisins. Comment expliquer un mouvement d’une telle ampleur ? Et un tel rejet du Frelimo ? Sergio Chichava, professeur de sciences politique à l’université Eduardo Mondlane de Maputo, est notre invité. RFI : Ce n'est pas la première fois que des élections sont contestées au Mozambique, mais en quoi cette mobilisation est inédite ? Et quelles sont les images qui vous ont frappées ?Sergio Chichava : Il y a beaucoup de routes qui sont bloquées et on ne peut pas circuler normalement. Et même les péages ne sont pas payés. On ne paye plus les péages à Maputo, au Mozambique, parce que Venancio Mondlane a dit : « On ne doit pas payer de péage », donc on ne paye pas. Et les taxes dans le marché informel, les gens ne les payent pas non plus. Donc, ce sont des choses qui ne se produisaient jamais.Les manifestations ont eu lieu sur l'ensemble du territoire national, y compris dans les bastions du Frelimo. On a aussi vu le déboulonnage de la statue du général Alberto Chipande, un héros de la guerre de libération. Est-ce la fin de l'hégémonie du Frelimo ?On devrait arrêter de parler de l'hégémonie du Frelimo, depuis les deuxièmes élections que le Mozambique a connues. Parce que toutes les élections qui ont suivi ont été frauduleuses. Donc, si un régime se maintient au pourvoir à travers des élections non-transparentes, je ne sais pas si on peut parler d'hégémonie. La différence avec ce qu’il s'est passé auparavant, c'est qu'il y avait des classes sociales, il y avait des régions qui soutenaient encore le Frelimo. Mais, maintenant, il n’y a presque plus aucune région qui soutient le Frelimo. Et aussi, vous avez parlé de déboulonnage de la statue de Monsieur Chipande, mais vous avez oublié de parler du déboulonnage de la statue du président Filipe Nyusi, également déboulonnée, il me semble au mois d’octobre. Ils ont coupé la tête de cette statue à Maputo. Maintenant, on est dans une situation où des gens du Frelimo ont peur de marcher dans les rues, en portant des vêtements de leur parti. Ça, c'était impensable ! Donc, être du Frelimo aujourd'hui n'est plus à la mode, c'est un danger. Le Frelimo demeure au pouvoir juste parce qu’il contrôle l'État, il contrôle l'économie, il contrôle l'armée. Il contrôle tout au Mozambique, mais il ne contrôle plus le désir de changement des citoyens. Les gens veulent le changement, ils ont choisi leur candidat et c'est cela qui importe.Et pourquoi est-ce que la popularité du Frelimo s'est effondrée ? Est-ce avant tout à cause de son bilan économique ?C’est surtout ça ! Son bilan est négatif du point de vue économique. C'est aussi le fait qu’on voit de plus en plus de gens du Frelimo en train de s'enrichir, alors que la majorité de la population n'a aucun bénéfice. Toutes les anciennes bases sociales du Frelimo se sont écroulées. Donc, le Frelimo, avant, bénéficiait du vote des fonctionnaires. Mais les fonctionnaires ont été, eux aussi, très affectés par les mauvaises politiques du Frelimo, ils sont dégoûtés. Même au sein de l'armée, on a vu des gens de l'armée en train de protester dans l'anonymat, mais en montrant qu'ils étaient des policiers, qu'ils étaient des soldats ! Donc, moi je trouve que, aujourd'hui, il y'a très peu de gens qui soutiennent le Frelimo, sauf les gens qui bénéficient du fait que le Frelimo continue toujours au pouvoir.Venancio Mondlane, aujourd'hui en exil, a appelé à plusieurs reprises à un dialogue. Est-ce que lui et le Frelimo sont prêts à entrer en négociation ?Un dialogue est toujours possible dès lors que le dialogue est sérieux. Moi, je ne vois pas le Frelimo intéressé par un dialogue sérieux. Parce que le Frelimo veut conserver le pouvoir. Donc, il fera tout pour le conserver, même en faisant un dialogue qui n'est pas sérieux. La base sociale de Venancio Mondlane ne veut pas de négociations avec le Frelimo. Si Venancio Mondlane s’engage dans des négociations avec le Frelimo, c'est pour qu'il puisse être au pouvoir, c'est pour qu'il obtienne la vérité électorale, pas pour une autre solution. Donc, si Venancio Mondlane arrive à trouver une autre solution en accord avec le Frelimo qui soit différente, ce sera une grande déception ...