C'est devenu tellement banal que la presse américaine n'en parle même plus. Depuis des années, Donald Trump et son entourage crachent sans retenue sur les médias traditionnels. Mais la donne vient de changer, avec son retour à la Maison Blanche. Ce qu'on appelle « l'effet Trump » risque de faire entrer les attaques contre les journalistes dans une nouvelle dimension...
C'est un poison qu'il a utilisé pendant toute sa campagne : sur une période-test de deux mois. Entre début septembre et fin octobre 2024, Reporters sans frontières a dénombré lors de ses discours plus d'une centaine de diatribes dirigées contre la presse. On parle d'« effet Trump » parce que cette rhétorique anti-médias a des conséquences très concrètes sur la sécurité des journalistes américains. Elisa Lees Muñoz dirige la Fondation internationale pour les femmes dans les médias, basée à Washington.
« L'"effet Trump", on l'a vu se mettre en place pendant ses meetings par exemple... Dès qu'il pointe du doigt les médias au fond de la salle ou qu'il désigne tel ou tel journaliste, la foule les prend pour cibles... Mais c'est valable aussi lorsqu'il dénigre ou critique la presse de manière générale... Tout simplement parce que dans la bouche d'un président ou d'un candidat à la présidentielle, l'impact est immédiat. »
Plusieurs reporters racontent avoir subi des violences physiques, surtout dans les États les plus polarisés, où l'extrême-droite a pignon sur rue. Mais aussi des injures, de l'intimidation ou des menaces de mort de la part d'un électorat armé et radicalisé. Dans le Michigan, une journaliste raconte comment des partisans de Donald Trump lui ont hurlé dessus, « j'espère que quelqu'un va venir te violer avant de t'assassiner ».
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Les médias vu comme des adversaires politiquesPour conjurer ce phénomène, plus de 600 professionnels des médias, en particulier des femmes, ont suivi des formations spécialisées. Une sorte de kit de survie journalistique : savoir reconnaître un public hostile, travailler à plusieurs, garer sa voiture à proximité des sorties, et même apprendre quelques rudiments d'arts martiaux.
Mais maintenant qu'il est de retour au pouvoir, l'effet Trump prend une autre dimension. Elisa Lees Muñoz assure qu'il va passer à la vitesse supérieure. Et s'en prendre à l'existence même de certains médias qu'il considère comme des adversaires politiques.
« Je ne crois pas qu'on ait déjà vu ça, mais on s'attend à des enquêtes sur le financement des entreprises de presse, en particulier les médias à but non lucratif. Si vous prenez PBS, le réseau de télévision publique ici, vous verrez qu'à l'antenne, ils publient la liste de leurs donateurs. Telle fondation, telle corporation nous a donné de l'argent. Désormais, le gouvernement assimile ça à de la publicité. Ce qui permet de remettre en cause le caractère non lucratif de l'activité de ces médias... Et d'assécher complètement leur système de financement participatif. »
Au classement mondial de la liberté de la presse, les États-Unis pointaient au 55ᵉ rang en 2024. Soit une chute de dix places par rapport à l'année précédente. À l'appui de cette dégringolade, Reporters sans frontières met en avant la défiance généralisée envers les médias, l'insécurité croissante qui touche les journalistes américains dans l'exercice de leurs fonctions et l'hostilité notoire de la classe politique.
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