Les tirailleurs sénégalais sont-ils « des traîtres qui se sont battus contre leurs frères », comme dit le ministre sénégalais Cheikh Oumar Diagne ? Depuis une semaine, cette déclaration fait scandale. « Cette sortie est très malheureuse », dit l’un de ses collègues, le porte-parole du gouvernement sénégalais, Moustapha Njekk Sarré. Christian Eboulé, journaliste à TV5 Monde, est un spécialiste de l’histoire des tirailleurs sénégalais. Aux éditions Les lettres mouchetées, il vient de publier « Le testament de Charles », un livre consacré au capitaine franco-gabonais Charles N’tchoréré, abattu par les Allemands en 1940. À partir de la fin février, ce livre sera également publié par les éditions Afredit, basées à Yaoundé, et sera distribué dans toute l’Afrique centrale. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. RFI : Alors Charles N’tchoréré, c'était un officier français d'origine gabonaise, qui avait multiplié les faits d'armes depuis la guerre de 1914. Pour vous, c'est un héros français ou un héros gabonais ?Christian Eboulé : Pour moi, c'est un héros tout court, parce qu'il a défendu les valeurs d'humanité et de fraternité sur un terrain d'opération, la Seconde Guerre mondiale, dans lequel il avait été amené, comme capitaine des troupes coloniales françaises. C'était un humaniste en uniforme de mon point de vue et son combat, lors de cette Guerre mondiale en 1940, c'était un combat pour cet universalisme que la France promouvait et défendait pendant la période coloniale. Donc, c'était un homme qui ne se battait pas uniquement pour la France, il se battait pour l'idée qu'il se faisait de la liberté.Et après avoir été capturé par les Allemands, il a donc été séparé des autres officiers de l'armée française et abattu d'une balle dans la tête, est-ce à dire qu'il a été tué parce qu'il était noir ?Il a effectivement été tué parce qu'il était noir, parce qu'il a protesté contre cette ségrégation. Il a aussi protesté contre les massacres qui étaient pratiqués par certaines unités allemandes, certaines unités, pas toutes. Les unités nazies, notamment, massacraient de manière systématique les tirailleurs sénégalais. Charles N’tchoréré s'est opposé à ces deux pratiques et il y a laissé sa vie.Depuis quelques jours, un ministre sénégalais, Cheikh Oumar Diagne, créé la polémique sur les tirailleurs sénégalais. Il affirme : « Leur bataillon a été créé par le colon, ce sont des traîtres qui se sont battus contre leurs frères dans leur pays. Pour moi, ce ne sont pas des héros, en tout cas pas des héros à nous. »Cheikh Oumar Diagne n'est pas n'importe qui, c'est un ministre conseiller à la Présidence. Alors, ce sont des propos d'une très grande violence, car dans son interview, il affirme une litanie de griefs sans fondements qui flaire, à mon avis, la manipulation et le populisme. Cheikh Oumar Diagne affirme pêle-mêle que les tirailleurs battaient les Sénégalais, s'en prenant aux villageois, attaquaient les résistants, tuaient les marabouts et les maîtres coraniques. Autre exemple, il affirme que la seule préoccupation des tirailleurs sénégalais était pécuniaire. C'était l'argent leur préoccupation. Et pour preuve, Il cite les massacres de Thiaroye. Autrement dit, à Thiaroye, tous ceux qui ont été massacrés, s'étaient rebellés par cupidité. Ici, on constate que notre ministre conseiller ignore toutes les difficultés des tirailleurs et surtout leurs difficiles conditions de vie contre lesquelles luttait notamment le capitaine Charles N’tchoréré qui était la voix des tirailleurs. À Thiaroye, ils se battaient pour leur dû et pour leur dignité. C'étaient les deux. Les deux étaient indissociables. Ils avaient fait la guerre, ils étaient retournés. On leur avait promis cet argent. Il était normal qu'ils le réclament.Est-ce que tout est faux dans ce que dit Cheikh Oumar Diagne, le ministre sénégalais ? Un historien sénégalais, Mamadou Fall, a ce mot : « Il y a eu des moments où la France a fait faire aux tirailleurs une sale besogne. » Au Cameroun, en septembre 1958, ce sont des troupes coloniales françaises qui ont abattu le dirigeant indépendantiste Ruben Um Nyobè, notamment des troupes d'origine tchadienne. Est-ce que « cette sale besogne », pour reprendre l'expression de Mamadou Fall, n'entache pas la mémoire des tirailleurs sénégalais ?Je crois que les tirailleurs sénégalais ont le dos large. Ils étaient des supplétifs, pour la plupart, ce sont des hommes qui ont vécu sous la domination coloniale, qui ont essayé de s'en sortir et qui, par différents mécanismes, étaient parfois contraints. Je rappelle juste une chose : le service militaire était obligatoire durant l'entre-deux-guerres. L'ancien président Aboubakar Sangoulé Lamizana, c'est de cette manière qu'il a été incorporé dans les troupes coloniales et les ...
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